Définition de FORTUNE

DÉFINITIONS - REMARQUE - HISTORIQUE - ÉTYMOLOGIE - SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE -

Prononciation : for-tu-n'

DÉFINITIONS

1
Terme du polythéisme gréco-romain. Divinité qui présidait aux hasards de la vie. Le temple de la Fortune. Les anciens représentaient la Fortune sous forme d'une femme, tantôt assise et tantôt debout, ayant un gouvernail, avec une roue à côté d'elle, pour marquer son inconstance, et tenant dans sa main une corne d'abondance.
Il s'écrit en ce sens avec une majuscule.
Il se dit, par allusion, en un sens analogue au précédent, mais sans majuscule.
Je mets cette lettre entre les mains de la fortune sans voir comme elle pourra passer au travers de tant de difficultés et de feux qui nous entourent
Sans mentir, monsieur, la fortune est une grande trompeuse ! bien souvent en donnant aux hommes des charges et des honneurs, elle leur fait de mauvais présents, et pour l'ordinaire elle nous vend bien chèrement les choses qu'il semble qu'elle nous donne
Mais jugeons, je vous supplie, s'il a tenu à lui ou à la fortune qu'il ne soit venu à bout de ce dessein
La fortune est changeante
Surtout quand à nos yeux la fortune se montre....
L'homme à qui la fortune a fait des avantages
La fortune nous corrige de plusieurs défauts que la raison ne saurait corriger
La fortune.... Il n'arrive rien dans le monde Qu'il ne faille qu'elle en réponde ; Nous la faisons de tous écots
Qui ne court après la fortune ?
de Jean de LA FONTAINE dans ib. VII, 12
Mais que vous sert votre mérite ? La fortune a-t-elle des yeux ?
de Jean de LA FONTAINE dans ib.
Fortune, qui nous fais passer devant les yeux Des dignités, des biens que jusqu'au bout du monde On suit sans que l'effet aux promesses réponde, Désormais je ne bouge et ferai cent fois mieux
de Jean de LA FONTAINE dans ib.
Fortune aveugle suit aveugle hardiesse
de Jean de LA FONTAINE dans ib. X, 14
Est-on sot, étourdi, prend-on mal ses mesures, On pense en être quitte en accusant le sort ; Bref, la fortune a toujours tort
de Jean de LA FONTAINE dans ib. v, 11
Il lit au front de ceux qu'un vain luxe environne, Que la fortune vend ce qu'on croit qu'elle donne
de Jean de LA FONTAINE dans Phil. et Bauc.
La fortune veut être prise de force ; les affaires veulent être emportées par la violence
Poursuivi à toute outrance par l'implacable malignité de la fortune, trahi de tous les siens, il ne s'est pas manqué à lui-même
Il ne faut pas se flatter ; les plus expérimentés dans les affaires font des fautes capitales ; mais que nous nous pardonnons aisément nos fautes quand la fortune nous les pardonne !
Un homme également actif dans la paix et dans la guerre, qui ne laissait rien à la fortune de ce qu'il pouvait lui ôter par conseil et par prévoyance
Que la fortune ne tente donc pas de nous tirer du néant ni de forcer la bassesse de notre nature
Tout vous rit, la fortune obéit à vos voeux
Mithridate revient ! Ah fortune cruelle !
Fortune dont la main couronne Les forfaits les plus inouïs, Du faux éclat qui t'environne Serons-nous toujours éblouis ?
Les destinées des princes et des États sont tellement le jouet de ce qu'on appelle la fortune, que le salut de l'Empereur vint d'un prince protestant
Gouvernez la fortune et sachez l'asservir
La fortune fit évanouir tous ces vastes projets
La roue de la fortune, les accidents divers dans la vie des hommes et dans le sort des États.
Sémantique : Fig. Attacher un clou à la roue de la fortune, trouver moyen de fixer la fortune.
La roue de la fortune ou la roue de fortune, s'est dit aussi, dans le temps qu'on tirait la loterie, de la roue où l'on mettait les numéros, qu'on mêlait en faisant tourner la roue.
Les jeux, les coups, les caprices de la fortune, les grands changements qui arrivent aux hommes ou aux États et qui les élèvent ou les abaissent.
Sémantique : Fig. Adorer, encenser la fortune, sacrifier à la fortune, etc. s'attacher à ceux qui sont en faveur, en crédit.
Tenter la fortune, et, plus familièrement, brusquer la fortune, tenter de réussir par des moyens prompts et hasardeux.
Laissons de leur amour la recherche importune ; Poussons à bout l'ingrat et tentons la fortune : Voyons si, par mes soins sur le trône élevé, Il osera trahir l'amour qui l'a sauvé
2
Ce qui advient par la volonté de la Fortune, chance, hasard.
Il est certain qu'Alexandre courut grande fortune non-seulement de la vie, mais...
de Claude Favre de VAUGELAS dans Q. C. 380
Je voudrais bien savoir s'il y a quelque astrologue qui eût pu dire en me voyant il y a deux ans dans la rue Saint-Denis avec ma rotonde [sorte de fraise], que je courrais bientôt fortune de ramer dans les galères d'Alger ou d'être mangé par les poissons de la mer Atlantique
M. le prince ne courait aucune fortune, s'il lui plaisait de revenir à la cour
Si vous voulez m'assurer mon sort principal [mon capital], qu'il ne coure fortune
Non-seulement, dit-il, nous courons fortune de tout perdre, mais le temple de la grande Diane va tomber dans le mépris
De quelque manière que vous jetiez les dés, ils amèneront toujours les mêmes points ; voilà une étrange fortune !
Tenter fortune, s'engager dans des entreprises dont l'issue dépend de chances qu'on ne peut ni calculer ni prévoir.
Chercher fortune, chercher les occasions qui peuvent procurer ce que l'on désire, biens, honneurs, faveurs de femmes, etc.
Témoignez seulement que vous cherchez fortune
de Jean de LA FONTAINE dans Cand.
Cela fit que, sans renoncer à ses prétentions [sur une dame], il se mit à chercher fortune ailleurs
On disait autrefois, dans un sens analogue : busquer fortune, Dict. de l'Académie (ce mot, aujourd'hui inusité, n'est pas à son rang alphabétique ; c'était une locution espagnole, buscar, chercher, introduite au XVIe et au XVIIe siècle).
La fortune des armes, les hasards, les chances de la guerre.
Sémantique : Familièrement. La fortune du pot, le dîner tel qu'il se trouve. Venez dîner avec nous à la fortune du pot.
De fortune, de bonne fortune, de grande fortune, par fortune, Nature : loc. adv. Par hasard, par grand hasard.
De bonne fortune il ne faisait point du tout de vent
Comme elle disait ces mots, Le loup, de fortune, passe
Je l'avais sous mes pieds rencontré par fortune
Le p. Tellier était à Marly comme tous les vendredis ; et, de grande fortune, d'Antin était allé faire une course à Paris
Avant-hier advint que de fortune Je rencontrai ce Guignard sur la brune
3
Bonne fortune, heureuse circonstance, chance heureuse.
Que celui qui l'occupe a de bonne fortune !
Je porte peu d'envie à sa bonne fortune
Bonne fortune, la bonne aventure, ce qui arrivera à chacun.
Écoutez, vous autres, y a-t-il moyen de me dire ma bonne fortune ?
Une bande de ces personnes qu'on appelle égyptiens, qui, rôdant de province en province, se mêlent de dire la bonne fortune
Bonne fortune, faveurs d'une femme. Il se vante d'avoir eu cette bonne fortune.
Il se donnait continuellement comme un homme à bonnes fortunes
de Mme DE CAYLUS dans Souvenirs, p. 249, dans POUGENS
Le petit Germain, sur qui pleuvaient de tous côtés les bonnes fortunes
Que, pour vous faire croire homme à bonne fortune, Vous passez en hiver des nuits au clair de lune À souffler dans vos doigts....
Amazan refusait constamment toutes les bonnes fortunes qui se présentaient à lui
Fortune, dans le sens de bonne fortune en galanterie.
Vous est-il point encore arrivé de fortune ?
Moreau avait été galant ; il eut des fortunes distinguées et quantité que sa figure et sa discrétion lui procurèrent
Être en bonne fortune, être à un rendez-vous donné par une maîtresse.
Pour troubler un homme en bonne fortune
Dans un sens dérivé, mais particulier. En bonne fortune, en cachette, avec mystère.
Mme de Caylus se laissa aller à des rendez-vous en bonne fortune avec Mme de Maintenon à Versailles ou à Saint-Cyr
M. le prince avait envoyé proposer à ce père [de la Tour] de le venir voir en bonne fortune la nuit et travesti
Je faisais celui-là [travail], comme on dit, en bonne fortune, et je n'avais voulu communiquer mon projet à personne
4
Mauvaise fortune, adversité, suite d'événements fâcheux.
Il [le prince de Condé] apprit à l'Espagne trop dédaigneuse quelle était cette majesté que la mauvaise fortune ne pouvait ravir à de si grands princes [les Stuarts exilés]
Il supporta la mauvaise fortune sans faiblesse, comme il jouit de la bonne sans orgueil
5
Il se prend quelquefois pour bonheur.
Peut-être que vous avez jugé que cette fortune était tellement au delà de ce que je devais espérer, qu'il vous fallait avec loisir chercher des termes pour me la rendre croyable
Peut-être la fortune est prête à vous quitter
À mon fils Xipharès je dois cette fortune
Il n'est point de fortune à mon bonheur égale
Il est en fortune, il gagne tout ce qu'il veut.
Sémantique : Fig. Être en fortune, être en verve, en crédit.
Je répondis à tout, car j'étais en fortune
En un sens opposé, malheur. Dieu vous préserve de mal et de fortune.
Lors de mon coin vous me verrez sortir Incontinent, de crainte de fortune
de Jean de LA FONTAINE dans Sav.
Contre fortune bon coeur, c'est-à-dire il faut faire face avec courage contre les accidents que la fortune inflige.
Allons, allons, madame, ne vous affligez point ; contre fortune bon coeur
de BARON dans Coq. et fausse prude, V, 2
Sémantique : Terme de pratique. À ses risques, périls et fortune, loc. adv. qui signifie que tous les risques sont mis à la charge de la personne dont il s'agit.
Se dit aussi dans le langage ordinaire, avec le même sens.
Qu'il est beau de détromper à ses risques et fortunes un indifférent sur des choses qui lui importent !
de Denis DIDEROT dans Essai sur la vertu.
Ma coutume est de donner mes griffonnages aux libraires, qui les impriment à leurs périls et fortunes
La bonne et la mauvaise fortune, l'une et l'autre fortune, la prospérité et l'adversité.
Égal dans les événements de l'une et l'autre fortune
6
Sémantique : Terme de marine. Fortune de mer, les accidents qui arrivent aux navigateurs, naufrages, tempêtes, pirates, etc.
Fortune de vent, gros temps, temps pendant lequel les vents sont forcés.
Voile de fortune, voile qui ne se porte que pendant l'orage.
Gouvernails, mâts, etc. de fortune, gouvernails, mâts qui ne servent que momentanément.
Fortune, nom d'une vergue et d'une voile dont on se sert à bord de certains navires qui ont le gréement des goëlettes. La fortune est une voile carrée attachée sur une vergue qui se hisse, comme la voile de misaine des bâtiments carrés, à la tête et sur l'avant du mât de misaine, JAL.
7
La fortune de quelqu'un, ce qui peut lui arriver de bien ou de mal.
Me faire la faveur d'assurer particulièrement trois d'entre elles [personnes] que, quelque loin que me jette ma fortune, la meilleure partie de moi-même sera toujours au lieu où elles seront
Donc, comme à vous servir j'attache ma fortune
Chacun, à ses périls, peut suivre sa fortune
Jamais il n'a été en ma puissance de concevoir comme on trouve écrit dans le ciel jusqu'aux plus petites particularités de la fortune du moindre homme
[Le prince de Condé] mande à ses agents dans la conférence [pour la paix des Pyrénées], qu'il n'est pas juste que la paix de la chrétienté soit retardée davantage à sa considération, qu'on ait soin de ses amis, et, pour lui, qu'on lui laisse suivre sa fortune
Demeurons toutefois pour troubler leur fortune
Sa fortune dépend de vous plus que de moi
Les biens qu'il avait abandonnés pour suivre la fortune de son maître
Je résolus de m'attacher à elle, de courir sa fortune
Il se dit aussi des choses. La fortune d'un livre. La fortune des empires.
8
Plus particulièrement, la fortune de quelqu'un, son heureuse fortune, les succès qu'il obtient.
Cromwell alors se fit nommer gouverneur d'Irlande ; il partit avec l'élite de son armée, et fut suivi de sa fortune ordinaire
Soliman envoie le bacha Mustapha assiéger Malte ; rien n'est plus connu que ce siége où la fortune de Soliman échoua
9
Il se dit, au pluriel, des variations du sort, de la destinée.
En racontant toutes ses fortunes et tous ses longs voyages
de D'URFÉ dans Astrée, I, 2
Je désire seulement d'avoir bientôt l'honneur de vous voir, et que toutes mes fortunes soient tellement jointes aux vôtres, que je ne sois jamais heureux ni malheureux qu'avec vous
Quoique nous lisions de lui, si faut-il avouer que vos fortunes sont aussi merveilleuses que les siennes
Il ne manque à vos fortunes que d'avoir été criminelle d'État, et voici que je vous en fais naître une belle occasion
Il [l'amour] a droit de régner sur les âmes communes, Non sur celles qui font et défont les fortunes
Hors de l'ordre commun il [le sort] nous fait des fortunes
Quant au surplus des fortunes humaines, Les biens, les maux, les plaisirs et les peines....
de Jean de LA FONTAINE dans Belphégor.
Nous parlions des fortunes d'Horace
Les fortunes du chevalier de Grammont y furent longtemps diverses dans l'amour et dans le jeu
Jetons la vue sur les fortunes galantes de son altesse, avant la déclaration de son mariage
de Antoine HAMILTON dans ib. 3
Élevé par cette illusion au dernier degré de la gloire, vous vous convaincrez par vous-même de la vanité des fortunes
de VAUVENARGUES. dans Médit. sur la foi.
À la nécessité soumettons nos fortunes
de BRIFFAUT dans Ninus II, IV, 10
On le dit aussi des choses. Cette doctrine a eu des fortunes très diverses.
10
Revers de fortune, accident qui change une bonne situation en une mauvaise.
Retour de fortune, vicissitude dans la destinée, dans l'état des choses. Il y a de singuliers retours de fortune.
11
L'état, la condition où l'on est. Se contenter de sa fortune.
Je me souhaiterais la fortune d'Éson
de François de MALHERBE dans II, 12
Le capitaine de vaisseau touché de ma fortune prit amitié pour moi
Il goûtait un véritable repos dans la maison de ses pères qu'il avait accommodée peu à peu à sa fortune présente, sans lui faire perdre les traces de l'ancienne simplicité
Poursuivie par ses ennemis implacables qui avaient eu l'audace de lui faire son procès, tantôt sauvée, tantôt presque prise, changeant de fortune à chaque quart d'heure
Que si quelqu'un, mes vers, alors vous importune, Pour savoir mes parents, ma vie et ma fortune
Ma fortune va prendre une face nouvelle
Heureux qui satisfait de son humble fortune....
de Jean RACINE dans ib.
Vous avez entendu sa fortune [de Joas]
Il se dit aussi au pluriel.
Dans les fortunes médiocres, l'ambition encore tremblante se tient si cachée qu'à peine se connaît-elle elle-même
Ô mère, ô femme, ô reine admirable et digne d'une meilleure fortune, si les fortunes de la terre étaient quelque chose !
Une grande fortune, une condition élevée.
Il n'y a rien qui se soutienne plus longtemps qu'une médiocre fortune ; il n'y a rien dont on voie mieux la fin qu'une grande fortune
de Jean de LA BRUYÈRE dans VI
Chacun est artisan de sa fortune, c'est-à-dire en général nos succès dépendent de nous.
Il fut l'artisan de sa fortune, il ne dut qu'à lui ses bons succès.
12
Élévation de quelqu'un dans la condition, le rang, les honneurs, les emplois, les richesses.
Enfin tout ce qu'adore en ma haute fortune D'un courtisan flatteur la présence importune
Lui donner moyen de pousser sa fortune
Je ne vais point au Louvre adorer la fortune
Enfin je me dérobe à la joie importune De tant d'amis nouveaux que me fait la fortune
Ai-je donc élevé si haut votre fortune Pour mettre une barrière entre mon fils et moi ?
Pardonnez à l'éclat d'une illustre fortune Ce reste de fierté qui craint d'être importune
Il a commencé de bonne heure et dès son adolescence à se mettre dans les voies de la fortune
de Jean de LA BRUYÈRE dans VI
Il faut avoir trente ans pour songer à sa fortune, elle n'est pas faite à cinquante ; l'on bâtit dans sa vieillesse, et l'on meurt quand on en est aux peintres ou aux vitriers
de Jean de LA BRUYÈRE dans ib.
La révolte du comte de Soissons fut la plus dangereuse ; elle était appuyée par le duc de Bouillon, fils du maréchal, qui le reçut dans Sedan, par le duc de Guise, petit-fils du balafré, qui, avec le courage de ses ancêtres, voulait en faire revivre la fortune
Les biens de la fortune, les richesses, les honneurs, les emplois.
Faire fortune, s'élever haut dans les honneurs, les emplois, les richesses.
Faire fortune est une si belle phrase et qui dit une si bonne chose, qu'elle est d'un usage universel
de Jean de LA BRUYÈRE dans VI
Il faut une sorte d'esprit pour faire fortune et surtout une grande fortune ; ce n'est ni le bon ni le bel esprit, ni le grand, ni le sublime, ni le fort, ni le délicat ; je ne sais précisément lequel c'est ; j'attends que quelqu'un veuille m'en instruire
de Jean de LA BRUYÈRE dans ib.
Sémantique : Fig. Faire fortune, en parlant des choses, obtenir du succès, réussir.
Depuis la paix, mon vin fait encore plus de fortune en Angleterre qu'en a fait mon livre [l'Esprit des lois]
de Charles-Louis de Secondat MONTESQUIEU dans Correspondance, 61
Toutes ces pièces ont été imprimées, leur fortune est faite
de Denis DIDEROT dans les Saisons.
Je puis assurer à Votre Majesté que ces mots précieux à la raison ont fait autant de fortune que son bel éloge de l'impératrice reine
de Jean Le Rond D'ALEMBERT dans Lett. au roi de Prusse, 30 mars 1781
Mot qui courut dans le monde et fit fortune
Faire la fortune de quelqu'un, le faire parvenir à une position élevée.
Cette créature avait fait la fortune de bien des gens
Aimez vos domestiques, portez-les à Dieu, faites leur fortune, mais ne leur en faites jamais une grande
de Françoise d'Aubigné, marquise de MAINTENON dans Avis à la duch. de Bourgogne.
Faire sa fortune, parvenir à une position élevée.
Son esprit [du comte d'Estrées] est si fort tourné sur les sciences et sur ce qui s'appelle les belles-lettres, que, s'il n'avait une fort bonne réputation et sur mer et sur terre, je croirais qu'il serait du nombre de ceux que le bel esprit empêche de faire leur fortune
Il y a une différence si immense entre celui qui a sa fortune toute faite et celui qui la doit faire, que ce ne sont pas deux créatures de la même espèce
Vous qui vous exposez à la plainte importune De ceux dont la valeur a fait votre fortune
Homme de fortune, celui qui est parti de petits commencements et s'est élevé soit par son mérite soit par les circonstances.
C'était un homme de fortune comme vous
de Louis BOURDALOUE dans Carême, I, Pensées de la mort, 16
Soldat de fortune, homme de guerre qui s'est élevé des derniers grades aux plus élevés par ses propres efforts.
Il ne fit choix, pour un emploi si important et si délicat, que d'un soldat de fortune et par conséquent incapable de lui donner de l'ombrage et de se faire chef de parti
Rosen, étranger et soldat de fortune jusqu'à avoir tiré au billet pour maraude
Le duc de Vendôme, parvenu enfin au généralat après avoir passé par tous les degrés depuis celui de garde du roi, comme un soldat de fortune, commandait en Catalogne, où il gagna un combat et il prit Barcelone
Dioclétien n'était qu'un soldat de fortune
Officier de fortune, soldat devenu officier.
Les gentilshommes seuls en ont eu l'honneur [d'une affaire politique] ; les officiers de fortune et les bas officiers ont refusé de donner, ayant peu d'envie, disaient-ils, de combattre avec la noblesse, et peu de chose à espérer d'elle
Officier de fortune, s'est dit autrefois des officiers qui vendaient leurs services ou s'engageaient à qui voulait les payer. L'officier de fortune, titre d'un roman de W. Scott.
13
Les grandes fortunes, les personnes élevées par le rang, par les honneurs, les emplois, les richesses.
Chacun est jaloux de ce qu'il est.... surtout les grandes fortunes veulent être traitées délicatement ; elles ne prennent pas plaisir qu'on remarque leur défaut
14
Richesses, biens. Jouir d'une grande fortune. Il est sans fortune. Il n'a point de fortune.
Si sa fortune était petite, Elle était sûre tout au moins
Le lait tombe ; adieu veau, vache, cochon, couvée ; La dame de ces biens, quittant d'un oeil marri Sa fortune ainsi répandue....
de Jean de LA FONTAINE dans ib. VII, 10
Figurez-vous quelle joie ce peut être que de relever la fortune d'une personne que l'on aime
Un zèle de la justice qui assure la fortune des particuliers
Si elle eût eu la fortune des ducs de Nevers ses pères
Une grande puissance ou une grande fortune annonce le mérite et le fait plus tôt remarquer
de Jean de LA BRUYÈRE dans VI
On ne peut mieux user de sa fortune que fait Périandre : elle lui donne du rang, du crédit, de l'autorité
de Jean de LA BRUYÈRE dans ib.
Il arrive, je ne sais par quels chemins, jusqu'à donner en revenu à l'une de ses filles pour sa dot ce qu'il désirait lui-même d'avoir en fonds pour toute fortune pendant sa vie
de Jean de LA BRUYÈRE dans ib.
Triste condition de l'homme et qui dégoûte de la vie ! il faut suer, veiller, fléchir, dépendre pour avoir un peu de fortune, ou la devoir à l'agonie de nos proches
de Jean de LA BRUYÈRE dans ib.
Vous qui ne devez peut-être qu'aux malheurs publics et à des gains odieux ou suspects l'accroissement de votre fortune
de Jean-Baptiste MASSILLON dans Carême, Aumône.
Vous demandez comment on fait ces grandes fortunes, c'est parce qu'on est heureux
Ceux qui avaient partie de leur fortune sur la compagnie des Indes, n'ont qu'à se recommander aux directeurs de l'hôpital ; on a bien raison d'appeler son bien fortune ; car un moment le donne, un moment l'ôte
Ses agents font des fortunes incroyables
Homme de fortune, homme riche.
L'Huillier, homme de fortune, prenait un soin singulier de l'éducation du jeune Chapelle, son fils naturel
de François-Marie Arouet, dit VOLTAIRE dans Vie de Molière.
Être mal avec la fortune, être besogneux, n'être pas riche.
C'était une des plus belles femmes de la ville, assez magnifique pour vouloir aller de pair avec celles qui l'étaient le plus, mais trop mal avec la fortune pour pouvoir en soutenir la dépense
Faire fortune, gagner de la richesse.
Je n'ai que faire d'aller en Hollande, ma fortune est faite, se disait, par raillerie, à un homme faisant beaucoup de promesses.
15
Sémantique : Terme de droit coutumier. Fortune d'or, d'argent, or, argent trouvé dans la terre.
16
Demi-fortune, voy. ce mot à son rang.

REMARQUE

1
1. Faut-il dire des bonnes fortunes ou de bonnes fortunes ? J. J. Rousseau, dans l'exemple cité au n° 3, a dit : des bonnes fortunes ; on peut dire en effet ainsi quand on considère la locution comme un seul mot. Mais on peut aussi dire de bonnes fortunes, en considérant bonnes fortunes en deux mots.
2
2. À propos du vers d'Horace cité au n° 9, Voltaire dit : " Ce mot de fortunes au pluriel ne doit jamais être employé sans épithète : bonnes et mauvaises fortunes, fortunes diverses, mais jamais des fortunes. " Les exemples qui accompagnent celui de Corneille montrent que la remarque de Voltaire est trop étroite.

HISTORIQUE

1
XIIIe s.
De fortune me tourne diversement la roe
dans Berte, XXXIII
Fortune secort les hardiz, Si comme conte li escriz
dans Ren. 13609
Fortune comprent ce qui avient à home de bien et de mal
Por ce, dient li plusor, que fortune est aveugle, et qu'elle tornoie tozjors sa roe en non veant
de Brunetto LATINI dans ib. p. 441
2
XIVe s.
L'en ne conseille pas des choses qui aviennent à la fortune, si comme seroit trouver un tresor à cas d'aventure
Une question est à savoir se l'en a plus grant mestier d'amis en bonnes fortunes ou en infortunes
de Nicolas ORESME dans ib. 288
Par fortune de feu, qui, d'aventure ou autrement, se povoit prendre ou estre boutez par aucuns malfaitteurs
dans Ord. des rois de Fr. t. III, p. 668
3
XVe s.
Si j'estois pris ou arresté par aucun cas de fortune
Leurs vaisseaux eurent si grand fortune sur mer.... que plusieurs de leurs nefs furent peries....
[Le sire de l'Esparre] eut une fortune de vent sur mer qui le bouta en la mer d'Espaigne
Congnoistre que les graces et bonnes fortunes viennent de Dieu
de Philippe de COMMINES dans I, 4
Que chascun se retyre en son logis et se tienne prest, sans soy esbayr de fortune qui advienne
de Philippe de COMMINES dans I, 13
Toutes ces grandes fortunes leur sont advenues en trois mois d'espace [il s'agit d'une suite de malheurs qu'on vient d'énumérer]
de Philippe de COMMINES dans VIII, 17
4
XVIe s.
Combien que ce tapissier, par fortune de maladie, fust devenu sourd
Une fortune ne vient jamais seule
Après sa mort vous aurez la maison, si elle n'est vendue, alienée, ou tombée en fortune de feu
de Bonaventure DESPÉRIERS dans ib. LI
En recognoissance d'une si illustre fortune [victoire]
de Michel de MONTAIGNE dans I, 19
J'avoy, de fortune, en mes coffres....
de Michel de MONTAIGNE dans I, 95
La condition de sa fortune [richesse] le luy permettoit
de Michel de MONTAIGNE dans I, 281
Regardez pour quoy celuy là s'en va courre fortune de son honneur et de sa vie à tout son espée
de Michel de MONTAIGNE dans IV, 167
Si s'embarqua tout incontinent, et eut le temps si à propos, qu'il traversa la mer sans fortune [accident] jusques à Brindes
de Jacques AMYOT dans Caton, 29
Hannibal estoit lors vieil et cassé, sans force ne puissance aucune, comme un homme que la fortune avoit de tout poinct ruiné et foulé aux pieds
de Jacques AMYOT dans Flam. 39
Il est force que nous tentions encore la fortune
de Jacques AMYOT dans Pomp. 105
Je luy appris encore à dire souvent.... interesser, prendre la garantie, faire fortune, courir risque.... et mille autres termes en cette façon, à quoy on connoit aujourduy une belle ame
Nous ne sommes ny à l'empereur ny au roy de France, mais soldats de fortune, qui la cherchons partout où nos advertissements nous guident
de Vincent CARLOIX dans VI, 18
Quand il [Charles-Quint] sceust que non [que la victoire de Saint-Quentin n'avait pas été poursuivie], il dict qu'en son aage et en ceste fortune de victoire, il ne se fust arresté en si beau chemin
La fortune aide à trois sortes de personnes, aux fols, aux yvrognes et aux petits enfants
de Antoine OUDIN dans Curios. fr.
Mieux vaut une once de fortune qu'une livre de sagesse
de Randle COTGRAVE dans
Contre fortune, force aucune
de Antoine LE ROUX DE LINCY dans Prov. t. II, p. 277
En ce monde fortune et infortune abonde
de Antoine LE ROUX DE LINCY dans ib. p. 292

ÉTYMOLOGIE

1
Bourguig. forteugne ; provenç. espagn. et ital. fortuna ; du lat. fortuna, de fors, sort, rapporté à ferre et à la grande racine sanscrite bhar, porter, produire. Quant au suffixe una, qu'on retrouve dans Neptunus, importunus, on le rapproche du suffixe umnus qui est dans Vertumnus ; ce suffixe mnus n'est lui-même qu'une contraction du suffixe participial menus,

SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE

1
Ajoutez :
Faire la bonne fortune de quelqu'un, d'un ouvrage, assurer son succès (locution vieillie).
Rodogune se présente à Votre Altesse avec quelque sorte de confiance, et ne peut croire qu'après avoir fait sa bonne fortune, vous dédaigniez de la prendre en votre protection

Synonymes de FORTUNE

Termes proches de FORTUNE